Un pont de 450 mètres n’est pas une petite intervention dans le paysage. Quand bien même il est à quelques mètres du sol, l’impact de cette « architecture horizontale » est important : pour preuve la comparaison d’échelle avec les « architectures verticales » les plus connues. Si les gratte-ciels composent avec un « sky line » de la ville, le pont, considéré comme un grand objet, doit interagir avec un sol. Ici, la réponse donnée à une surface naturelle « hétérogène » (champs, talus, canal, fleuve) a été de mettre en place une forme unique continue qui exprime par sa proportion la répartition des efforts statiques mis en jeu. L’unité de la forme permet d’« enjamber » les irrégularités de la terre, de les mettre en valeur et d’intervenir de manière raisonnée par une augmentation progressive de la portée, permettant de franchir le Rhône « naturellement », presque sans effort. Sans effort visuel, dans la mesure où cette portée de 74 mètres se fond dans l’ouvrage.
La plasticité du tablier a été développée sur la base d’une réflexion alliant la mise en œuvre à la forme. Ceci implique un coffrage à fruit unique qui permet de décrire l’entier du pont : des facettes à chanfrein dont la hauteur statique s’adapte aux différentes portées. Dans une attention particulière à l’énergie grise du projet, les planches de coffrage sont utilisées sans découpes et parallèlement au pli du geste. Elles sont réutilisées pour la portée suivante. Le fruit unique permet de reprendre la structure du coffrage à chaque étape et ce malgré la hauteur évolutive.
Pour répondre à ce tablier qui cherche à exprimer les efforts, en accrochant la lumière de manière particulière, les piles porteuses adoptent le même principe. Une forme à « bouchain », répétitive, mais progressive. Là aussi le même coffrage est réutilisé pour l’ensemble des porteurs.
Les deux culées, qui marquent la fin, l’ancrage et le retournement de l’ouvrage d’art, sont une sorte de main ouverte sur laquelle le tablier vient s’appuyer. L’escalier de service vient se poser sur la pente de la culée, permettant un accès aisé au portillon de service.
La matérialité, en lien étroit à sa morphologie, a été conçue comme un « dialogue » entre le pont, le site et le temps qu’il fait. Par beaux jours, le ciel bleu découpé par la minéralité des Alpes renvoie aux plis du béton et aux verdoyantes diverses pentes du vallon qui l’encadrent. Par jour de pluie, le pont, sans ombres portées, est littéralement un trait dans le paysage qui reproduit l’horizontalité du ciel couvert. L’eau tombée absorbée par le béton teinté d’oxydes de fer en vivifie la couleur et texture. L’atmosphère blanchâtre est animée par la couleur rouge laissant ainsi s’exprimer la puissance du matériau.